Par Guillaume GRIGNARD, Vice-Président de We-Search et aspirant FNRS au CEVIPOL (ULB)
Le 13 septembre 2017, Laurette Onkelinx annonçait à la presse son retrait de la politique active au plus tard à l’issue des prochaines élections fédérales. Cet épisode a fait les choux gras des médias notamment de la RTBF qui a consacré une quinzaine de minutes à cette information lors de son Journal Télévisé de 19h30. Séquence surréaliste mêlant copinage, louange, tapis rouge et absence de travail critique, le Journal Télévisé de ce soir-là fut une illustration absolue de l’interview de complaisance, où le pouvoir médiatique salue son partenaire, le pouvoir politique. Tous deux interagissent au quotidien et tous deux ont un absolu besoin de l’autre. De ce mariage de circonstance, ressort un message clair : une révérence pour une femme politique intégrée au système et une critique à peine voilée des partis aux extrémités de l’échiquier politique. Soudainement voici que le média public numéro un en Fédération Wallonie Bruxelles s’inscrit dans une logique de soutien aux partis de gouvernement tout en attaquant le parti d’opposition montant dans tous les sondages récents : le PTB. Cette séquence de copinage convivial se déroule en quatre épisodes
Episode n°1 : le témoignage
Il s’agit presque d’un épisode à caméra ouverte où les médias se contentent d’ouvrir le micro à Laurette Onkelinx et ses collègues tous partis confondus. Le message consiste à rendre hommage à une grande élue de notre pays en écoutant les autres parler d’elle et surtout en l’écoutant elle, dérouler son discours. Beaucoup de larmes, beaucoup d’émotions et aucun journaliste dans une séquence où ils ne sont que les relais de la parole du politique.
Episode n°2 : la fausse interview
Moment fort du Journal, Laurette Onkelinx vient chez François de Brigode pour annoncer « les vraies raisons de son départ ». Interview totalement faussée puisqu’elle a consisté à laisser Laurette Onkelinx dérouler un formidable plan de communication en trois temps : l’exigence du renouvellement démocratique, le message poignant à propos de ses enfants qui ont beaucoup souffert du métier de leur mère, la situation des femmes qui aurait été le combat emblématique de la carrière de Laurette Onkelinx. Difficile de ne pas apercevoir la marionnette communicante qui se cache derrière ce discours tellement convenu et rempli de banalités. D’autre part, il est tout de même nécessaire de faire semblant de faire du journalisme donc l’interview est faussée également par la fausse question provocante : François de Brigode demande par exemple très tôt dans l’interview si madame Onkelinx ne veut pas envoyer un « message subliminal » à Elio Di Rupo en lui demandant de faire de la place aux jeunes. On imagine le frémissement terrible ressenti par l’équipe socialiste à l’écoute de cette question. Mais on aurait imaginé encore avec plus de saveur le frémissement qu’il y aurait pu avoir si on avait demandé à Mme Onkelinx si cette « vraie raison » n’était pas sa défaite probable face notamment à la croissance du PTB à Bruxelles et en Wallonie ? Finalement ne vaut-il pas mieux partir en vainqueur le visage propre plutôt qu’après une déculottée historique ? L’évitement de cette question est symptomatique de l’essence même de cette séquence comme nous le verrons plus loin.
Episode n°3 : La critique noyée
Après cet épisode, une petite notice biographique suit l’interview. Dans une toute autre tournure, l’épisode amène des critiques acerbes sur sa gestion du portefeuille de l’enseignement, son objectif du bilinguisme et sa pratique du néerlandais. Cela montre que les critiques sur ses mandats sont tout à fait tangibles et qu’elles auraient pu être mobilisées bien en amont de la séquence. En effet, pour le spectateur, cette parenthèse plus sombre passe rapidement inaperçu vu comment la séquence se construit depuis 19h30. C’est une critique qui est noyée par le tapis d’éloges qui l’a précédé.
Episode n°4 : Renforcement du message
Après la séquence sur Laurette Onkelinx, la RTBF a proposé un reportage sur la violence contre le personnel politique mêlant l’assassinat du bougermestre de Mouscron Alfred Gadenne à l’agression lors d’un meeting de Raoul Hedebouw et d’autres exemples du même genre en France et en Espagne. Le monde politique serait dès lors violent, même « ultra-violent ».
Epilogue
Le Journal Télévisé de la RTBF de ce mercredi 13 septembre n’a pas fait que présenter le départ de la vie politique d’une des grandes figures du parti socialiste. Il a présenté un discours très clairement conservateur et presque ouvertement contre le PTB, jamais cité mais que l’expression « populistes ambiants » désigne largement. « L’oubli » du contexte électoral européen annonçant un effondrement de la famille socialiste notamment au profit des formations de gauche radicale n’est pas anodin. Pourtant, cet élément est sans doute une des « vraies raisons » du départ de Mme Onkelinx pour qui il est préférable de partir en vainqueur qu’en vaincu. Ne pas traiter de ce sujet lors de l’interview est un signe fort d’une modèle de complaisance où les médias laissent la personnalité politique dérouler son plan de communication. Pire, le traitement omniprésent dans ce journal de la violence envers les hommes et les femmes politiques stigmatise les forces d’opposition et invite le spectateur à se méfier des extrêmes. Cette violence fait sourire : alors que le spectateur ressent un début d’empathie pour les enfants de Madame Onkelinx, une analyse plus fine soulignerait que des milliers d’enfants belges souffrent de voir leurs parents au chômage, harcelés sur leur lieu de travail, contraints à un métier pénible, dévalorisant, et à une cadence horaire qui n’a rien à envier au monde politique. A propos de la violence, il faut s’interroger pour savoir si on peut vraiment mettre sur le même pied des actes de violence individuelle (Gadenne et Hedebouw) avec des manifestations collectives en France et en Espagne ? Il paraît douteux de juxtaposer ainsi des images de violences dont la source paraît bien différente. De plus, il est légitime de se demander qui est violent aujourd’hui entre les politiques néolibérales qui précarisent le tissu social depuis des décennies ou des mouvements de protestation qui contestent l’ordre contemporain ? Est-ce vraiment au sein du monde politique que cette violence apparaît dans son versant le plus cru ? Il faut rappeler que le stress qui découle de la vie politique n’a d’équivalent que la gloire et la valorisation d’égo que les politiques trouvent dans cette vie professionnelle… Gloire absente de tous les métiers précarisés.
Ainsi, le journal télévisé de la RTBF de ce 13 septembre frise l’indécence en proposant une interview de complaisance à une éminente femme politique et en la faisant suivre d’un discours qui déplace la violence de sa racine sociale vers le champ où elle se manifeste, transformant les bourreaux en victimes et spoliant ainsi de leur droit légitime à la complainte les populations les plus affectées par l’injustice sociale contemporaine. En ce sens, cette séquence en plus d’être complaisante est conservatrice et vise à conforter et légitimer l’ordre établi.