L’auto-détermination des peuples à l’épreuve de la « realpolitik » – Julien FORTIN

 

Par Julien FORTIN – Membre de l’équipe We-Search et master en relations internationales (ULB et Tongji University – Shanghai)


 

« Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, et prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix dans le monde ».

Tel est l’alinéa deux, de l’article premier du premier chapitre de la Charte des Nations Unies. En principe, tous les états reconnaissent le droit aux peuples de s’autodéterminer. C’est sur base, notamment, du même article que de nombreux pays se sont battus afin d’obtenir leur indépendance et de fonder leur propre état. Mais si les principes sont beaux, il en est tout autrement de la realpolitik. Et dès lors que l’on se retrouve face à un peuple qui fait valoir son droit à s’auto-disposer, il y a bien d’autres éléments à prendre en compte qu’un principe.

De nombreux pays du monde sont confrontés à des défis nationaux où des ethnies, des peuples revendiquent plus d’autonomie jusqu’à prétendre à l’indépendance. Que ce soit en Géorgie avec l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud dont un conflit armée en 2008 a remis en lumière ces deux provinces séparatistes reconnues par quatre pays, le Soudan du Sud qui a fait sécession en 2011 suite à un référendum d’autodétermination ou encore le mouvement des Kurdes au Moyen-Orient éparpillés en Turquie, Iran, Syrie et Irak et dont le degré d’autonomie diffère selon le pays où ils sont présents, il existe de nombreux mouvements séparatistes à travers le globe. Ces mouvements peuvent user de la force ou encore intégrer le système politique, revendiquer une autonomie graduelle jusqu’à obtenir une indépendance pure et simple.

En Europe également les mouvements indépendantistes sont très présents. Après la désintégration de la Yougoslavie qui a donné naissance à la Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, la Serbie, au Monténégro, à la Macédoine, et au Kosovo entre 1991 et 2008, l’Europe fut concerné par plusieurs régions de ses Etats membres désirant, si ce n’est l’indépendance, au moins une plus grande autonomie.

Il y a plusieurs cas en Europe qui démontrent un état d’engagement avancés vers la rencontre de leur revendication. C’est le cas de la Corse en France, de l’Italie du Nord en Italie, de la Flandre en Belgique, de l’Ecosse en Grande-Bretagne, du Pays basque en Espagne et en France et enfin, de la Catalogne en Espagne. Dans la plupart de ces régions, des partis politiques indépendantistes sont fortement implantés et sont représentés dans les parlements nationaux/fédéraux et régionaux.

La question des états centraux, la Grande-Bretagne dans le cas de l’Ecosse et de l’Espagne pour la Catalogne est de savoir s’il est dans leur intérêt d’accepter un référendum sur la question de l’indépendance. Si d’un côté le pays doit accepter de perdre une région conséquente de son territoire afin de respecter le droit à l’autodétermination des peuples ou bien s’il doit nier ce même droit afin de conserver un état unitaire et fort.

Ces dernières années, cette question s’est imposée tant à la Grande-Bretagne qu’à l’Espagne et ces deux pays ont répondu différemment.

Le cas de l’Ecosse

L’accord d’Édimbourg est un accord entre le gouvernement du Royaume-Uni et le gouvernement écossais portant sur un référendum sur l’indépendance de l’Écosse qui a été signé le 15 octobre 2012. Cette décision fait suite à la présence de plus en plus massive du Parti national écossais (SNP) sur les bancs du Parlement écossais. A partir de 1999 et la mise en place du Parlement écossais, le SNP est le plus grand parti de l’opposition. Sur 129 sièges, le SNP obtient lors des premières élections pour le Parlement écossais 35 sièges. Il en perd 8 quatre années plus tard mais devient dès 2007 le premier parti de l’hémicycle avec 49 sièges. La victoire est plus nette encore en 2011 avec une majorité absolue de 69 sièges.

La présence des nationalistes écossais se faisant de plus en plus importante au sein du Parlement écossais, jusqu’à diriger l’Ecosse avec un gouvernement majoritaire, le SNP a pu négocier avec le Gouvernement à Londres pour que soit mené un référendum portant sur l’indépendance. La Grande-Bretagne a donc décidé d’accepter le droit à l’autodétermination des peuples et la volonté affichée des Ecossais depuis plusieurs années pour de plus en plus d’autonomie.

Le référendum sur l’indépendance s’est tenu le 18 septembre 2014 et le résultat obtenu fut le rejet de cette indépendance à hauteur de 55,4% des électeurs. Suite à ce refus, des changements sont apparus au sein du SNP et les élections de 2016 ont octroyé moins de siège au Parti nationaliste avec 63 sièges mais leur permettant, avec le soutien extérieur des Libéraux-démocrates, de continuer à gouverner l’Ecosse.

Accorder le référendum sur l’indépendance était un parti risqué pour Londres puisque l’Ecosse aurait pu obtenir son indépendance dans les faits à partir du mois de mars 2016. Toutefois, le Royaume-Uni a accepté le droit à l’autodétermination de son peuple, de ses différentes composantes. Et le résultat post-référendum semble avoir eu comme conséquence un délitement du soutien électoral envers le SNP. Toutefois, le référendum sur le Brexit a démontré une fracture entre l’Ecosse et l’Angleterre. Déjà, la Première-Ministre écossaise envisage un nouveau référendum sur l’indépendance de l’Ecosse, tant leur volonté est de rester au sein de l’Europe. Si ce référendum a lieu d’ici la fin des négociations sur le Brexit, il est fort à parier que les résultats ne seront plus si francs et qu’il n’est pas certain que ce soit cette fois-ci un rejet.

Le cas de la Catalogne

L’autre cas de figure principal et d’actualité sur le droit des peuples à l’autodétermination, est celui de la Catalogne en Espagne. Tout comme l’Ecosse, la Catalogne a son identité, sa culture et son histoire propre.

Après la période franquiste, la Catalogne recouvre un statut d’autonomie et des élections se tiennent en vue de reformer le Parlement catalan. En 2006, un nouveau statut d’autonomie est approuvé par Barcelone, Madrid ainsi que par la population par référendum. Cette modification de statut intègre dans ses textes des notions et définitions propres à la nation catalane et ouvre une circonscription électorale catalane pour les élections du Parlement européen. De nombreux recours ont été présentés au Tribunal constitutionnel espagnol par le Parti conservateur afin de faire invalider de nombreux articles des nouveaux statuts de l’autonomie de la Catalogne dont notamment des notions qui faisaient parties intégrantes des précédentes versions des statuts. C’est le cas, par exemple, du rejet de la notion de la nation catalane.

Le Tribunal constitutionnel dans son avis, rendu plusieurs années après les premiers recours, a estimé anticonstitutionnel notamment la définition de la nation de la Catalogne mais lui assure une reconnaissance historique et culturelle. La place de la langue catalane est également réfutée comme ayant prépondérance sur l’espagnol. Ces tergiversations démontrent la difficulté de Madrid de se positionner sur le cas de la Catalogne. Et surtout, la Catalogne ne se sent pas respectée.

Au sein du Parlement catalan, la présence des régionalistes se fait prépondérante, dirigeant régulièrement la Catalogne. Néanmoins, les régionalistes ne sont pas indépendantistes. Cette distinction est démontrée dans les faits par l’éclatement de la fédération Convergence et Union composé de deux partis politiques, Convergence démocratique de Catalogne (CDC) et l’Union démocratique de Catalogne (UCD). En effet, en 2015 les militants de l’UDC ayant voté en faveur d’un dialogue approfondi avec Madrid sur l’indépendance, la CDC a décidé de mettre un terme à la coalition que ces deux partis politiques formaient depuis 1978.

Suite à cette rupture, le CDC a formé avec d’autres partis, de différentes philosophies politiques mais tous attachés à l’indépendance de la région, Ensemble pour le Oui qui visait, en 2015, l’indépendance de la Région. Les résultats électoraux sont bons puisque ce regroupement politique obtient 62 sièges et le parti Candidature d’unité populaire qui a également une position indépendantiste en obtient 10. Ensemble, les indépendantistes obtiennent donc 72 sièges sur 135, soit la majorité des sièges du Parlement de la Catalogne et ont donc les coudées franches pour mener à bien leur politique en vue de l’obtention de l’Indépendance de la région.

Le parlement catalan a approuvé le 6 septembre 2017 la convocation par le gouvernement d’un référendum en date du 1er octobre 2017 afin de demander à la population de se positionner sur l’indépendance de la Catalogne. Et c’est là que diffère le comportement de l’Espagne et du Royaume-Uni. Si ce dernier a autorisé le référendum indépendantiste écossais, le gouvernement de Madrid a refusé que se tienne le référendum en Catalogne, refusant donc le droit des peuples à l’autodétermination. La situation s’est envenimée puisque le gouvernement catalan a maintenu le scrutin, s’opposant aux désidératas du gouvernement et, selon Madrid et le Tribunal constitutionnel espagnol, s’opposant également à la constitution du pays.

Le référendum a bien eu lieu, malgré les décisions de Madrid en vue de l’empêcher. Le jour-même, la violence s’oppose au droit démocratique de la population. 319 bureaux de vote, soit 14%, ont été fermés par les forces de police espagnole. La dénégation du droit des peuples à s’autodéterminer a continué dans le discours du Premier ministre espagnol jusque après la tenue du référendum, puisque dans son allocation, le Premier ministre a nié l’existence de celui-ci.

L’environnement dans lequel s’est tenu ce référendum remet en cause les résultats obtenus. Avec 90,18% pour l’indépendance, et 2.200.000 électeurs, il y a non seulement un manque de représentativité non-négligeable mais aussi un manque de crédibilité. C’est certainement pour cela que le Président de la Catalogne n’a pas annoncé l’indépendance de la région même s’il a revendiqué la victoire. A l’heure d’écrire ces lignes, la position de Barcelone n’est pas claire et des négociations vont devoir se tenir afin d’apaiser les tensions suite à cet évènement.

La réaction du gouvernement national espagnol à l’encontre de ce référendum est probablement disproportionnée et certainement contre-productive. Il est fort à parier qu’à l’inverse de ce qui s’est passé en Ecosse, le sentiment indépendantiste catalan ne diminuera pas. Les forces indépendantistes grandiront jusqu’à saturation et la situation se nécrosera.

Conclusion

Le droit des peuples à l’autodétermination est un droit défendu par les Nations unies, mais il est flou. Et par ce fait, la défense légale d’un mouvement indépendantiste est extrêmement difficile. De plus, l’idée philosophique que représente le fait de prendre en charge son avenir est contrebalancée par la realpolitik et les coûts qu’engendrent l’autodétermination. La réponse à la demande d’autodétermination est soit positive soit négative. Mais les conséquences de cette réponse seront diverses, de l’indépendance acceptée passant par l’augmentation du sentiment d’appartenance régionale et donc le rejet d’un pouvoir central jusqu’à la diminution de l’assise électorale indépendantiste. D’autres enjeux rentrent en ligne de compte dans l’acceptation par le gouvernement national du droit des peuples à l’autodétermination tel que l’économie et la jurisprudence. En Europe, il existe également un autre enjeu, celui de devoir quitter l’Union européenne en même temps que l’obtention de l’indépendance. Seule l’Ecosse, probablement, pourrait rester dans l’Union européenne si elle obtient son indépendance et uniquement dans le cadre du Brexit.

Ces deux cas démontrent un comportement différent et un résultat différent. Toutefois, ces deux régions n’en ont pas finis avec leur identité indépendantiste.

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