Fin mars 2016, l’administration Trump par l’entremisse du Secrétaire d’État et par la représentante américaine au Conseil de Sécurité de l’ONU a fait part de sa position face au conflit syrien. Le départ de Bachar Al-Assad n’était plus une priorité pour elle, elle concentrait désormais sa politique dans la région à l’éradication de la présence de l’État islamique .
L’officialisation de la politique américaine dans la région a donné, selon certains experts, carte blanche au régime syrien pour agir comme bon lui semblait afin de gagner sur le terrain. En effet, et ce malgré les efforts diplomatiques russes, afin de régler le conflit rapidement en évitant plus d’effusion de sang, Damas a depuis le début considéré que la guerre civile ne pouvait être réglée que par les armes et elle maintient dès lors une politique de jusqu’au-boutisme. Le seul risque pour le régime de Bachar Al-Assad était représenté par les Américains. Or, en ne visant plus ostensiblement la chute du président syrien, les États-Unis ont donné champ libre, involontairement, à celui-ci pour mener ses actions militaires comme il le désirait. Ainsi, en date du 4 avril 2017, l’armée syrienne a bombardé le village de Khan Cheikhoun qui était tenu par les forces opposées à Damas. Sur les quatre bombes utilisées, la première a répandu un produit chimique sur la population alors endormie. Les services de secours, exsangues de nombreux produits médicamenteux à la suite de plusieurs années de guerre, n’ont pas eu la possibilité de sauver de nombreuses vies. Très vite, il est apparu que le produit chimique utilisé était du gaz sarin probablement mélangé à du chlore.
Il y eut de nombreuses condamnations internationales et le Conseil de Sécurité de l’ONU fut réuni en urgence. Les États-Unis, la France et le Royaume-Uni proposèrent un texte visant à condamner l’utilisation d’armes chimiques par le régime syrien tout en demandant qu’une enquête soit menée rapidement par l’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques (OIAC). Toutefois, la Russie a apposé son veto lors du vote de la résolution, le 8e depuis le début du conflit syrien. Le 7 avril 2017, en cohérence avec sa position avant le vote, qui était qu’ils agiraient unilatéralement si le texte était rejeté, les États-Unis ont tiré 60 missiles tomahawk sur la base militaire Al-Chaayrate d’où avait décollé le bombardier ayant attaqué le village de Khan Cheikhoum.
La décision de Washington fut appuyée par de nombreux pays. Toutefois, la Russie l’a condamnée en stipulant qu’il s’agissait d’une infraction au droit international et qu’elle allait à l’encontre de la souveraineté de la Syrie. Ce bombardement fut unique et fut analysé par Damas comme la seule condamnation de l’utilisation de l’armement chimique. Ils pouvaient donc continuer à mener leur guerre civile sans craindre l’intervention occidentale, principalement américaine, tant que les armes chimiques n’étaient pas utilisées.
Un an plus tard, en date du 7 avril 2018, l’armée syrienne fait face dans la région de la Ghouta orientale et plus spécifiquement à Douma à la présence du groupe des combattants de Jaych al-Islam. Alors que l’évacuation avait commencé plusieurs jours avant, un conflit interne éclata et provoqua l’arrêt de l’évacuation. Afin de forcer la reprise de celle-ci, les forces armées syriennes recommencèrent les bombardements à Douma.
En fin d’après-midi, il est noté par les secours qu’une première attaque au gaz chimique a lieu. C’est en début de soirée qu’il y eut une attaque de plus grande ampleur. Le gaz utilisé fut probablement du chlore avec, peut-être, du sarin. Près de 80 personnes ont perdu la vie lors de ces attaques chimiques.
Les Occidentaux, les États-Unis en tête, ont condamné très vite l’utilisation de ces armes sur la population civile tandis que la Russie, l’Iran et la Syrie rejetèrent la responsabilité de cet évènement aux groupes rebelles. Le 10 avril, trois projets de résolutions furent soumis au Conseil de sécurité des Nations Unies, mais ils furent tous rejetés. La première était à l’initiative des USA qui proposèrent la mise en place pour une durée d’un an d’un mécanisme d’enquête indépendant des Nations Unies. La Chine s’est abstenue, la Bolivie a voté contre tandis que la Russie y a apposé son veto. En réponse, la Russie proposa la création d’un mécanisme d’enquête sur les armes chimiques en Syrie, mais, justifiant un manque d’indépendance de l’enquête, les USA, la France, la Suède, la Pologne, le Pérou, les Pays-Bas et le Royaume-Uni votèrent contre. Le troisième projet fut également proposé par la Russie : il s’agissait de soutenir la mission d’enquête à Douma de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques. Estimant que ce projet était inutile puisque l’OIAC était déjà en route, les USA, la France, le Royaume-Uni et la Pologne se sont opposés à ce projet de résolution.
Le 12 avril, Emmanuel Macron, président français, déclara qu’il avait la preuve que c’était bel et bien l’armée syrienne qui a utilisé des produits chimiques lors de l’attaque de Douma. Le lendemain, la Russie a annoncé avoir la preuve que cet évènement n’était qu’une provocation préparée à l’avance et accusa le Royaume-Uni d’avoir été un acteur de celle-ci. Les États-Unis, quant à eux, confirmèrent à leur tour avoir la preuve de la responsabilité de Damas dans l’usage de gaz à Douma.
En réponse à cette attaque chimique, Paris, Washington et Londres ont lancé une attaque coordonnée dans la nuit du 13 au 14 avril sur quatre positions syriennes qui étaient utilisées par le régime syrien pour mener des recherches sur les armes chimiques et pour stocker cesdites armes. Lors de cette attaque, les États-Unis ont doublé les missiles utilisés par rapport à l’année précédente. Il y a donc une gradation dans la réponse militaire.
Russie, Syrie et Iran s’insurgèrent d’une telle action qui allait à l’encontre de la souveraineté syrienne. A contrario, la France, le Royaume-Uni et les États-Unis se félicitèrent d’avoir fortement amoindri la possibilité syrienne de produire des produits chimiques et d’avoir défendu la population syrienne.
Toutefois, il est à noter que cette intervention occidentale ne fut pas entérinée par le Conseil de Sécurité de l’ONU et qu’à sa suite, elle ne fut pas condamnée comme le demandait la Russie.
En un an, les États-Unis et ses alliés se sont faits les chantres de la défense des droits humains sur le sol d’un tiers état tout en enfreignant le droit international. Ils ont donc agi pour la défense des droits de l’Homme, contre l’utilisation des armes chimiques réglementées par la Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’usage des armes chimiques et sur leur destruction tout en enfreignant le même droit international.
Selon la définition de l’agression (A/RES/3314) du 14 décembre 1974, de l’article 3, point b :
« le bombardement, par les forces armées d’un État, du territoire d’un autre État, ou l’emploi de toutes armes par un État contre le territoire d’un autre État »,
les actions conjointes du Royaume-Uni, de la France et des États-Unis sont des agressions à l’encontre de la Syrie.
Nous pouvons également nous référer au point premier du chapitre premier de la déclaration sur le renforcement de l’efficacité du principe de l’abstention du recours à la menace ou à l’emploi de la force dans les relations internationales (A/RES/42/22) du 18 novembre 1987 :
« Tout État a le devoir de s’abstenir, dans ses relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies. Pareil recours à la menace ou à l’emploi de la force constitue une violation du droit international et de la Charte des Nations Unies et engage la responsabilité internationale. »
Enfin, suivant l’article 15bis du Statut de la Cour Pénale Internationale à suite des amendements ajoutés relatifs au crime d’agression, la Cour peut ouvrir une enquête si une agression a effectivement eu lieu. Toutefois, le Procureur ne peut le faire que lorsque le Conseil de Sécurité de l’ONU a constaté un acte d’agression.
Qu’est-ce que cela démontre ?
Tout simplement que les membres du Conseil de Sécurité peuvent agir comme ils le désirent, principalement les cinq membres ayant droit de veto. Ainsi, ils peuvent aller à l’encontre des buts des Nations Unies par leurs actions, ils ne seront pas inquiétés par la Cour Pénale Internationale puisque celle-ci ne peut décider de mener une enquête que lorsque le Conseil de Sécurité constate officiellement le fait. Or, par l’action de leur veto, les membres permanents peuvent bloquer toute décision reconnaissant un acte d’agression. C’est le serpent qui se mord la queue.
L’Organisation des Nations Unies, par l’exemple même ici démontré, n’est aujourd’hui plus en mesure de protéger sa Charte et ses valeurs. Les volontés croissantes de nombreux pays à travers le monde de repenser le fonctionnement de cette institution sont plus que justifiées quand des actions comme les agressions telles qu’effectuées par les USA, le Royaume-Uni et la France sont réalisées et même répétées.