La recherche est un puzzle au nombre in(dé)fini de pièces

Par Pauline Claessens (présidente de We-Search)

L’été est parfois l’occasion de s’adonner à des passe-temps différents de ceux du quotidien. Parmi ceux qui diffèrent de la recherche académique, à tout le moins au premier abord, l’on peut trouver le puzzle. L’objectif d’un puzzle est de recomposer une image plus ou moins complexe, sur base de petits éléments qui la composent. L’image nous est heureusement donnée, ainsi que le nombre de pièces. Chaque pièce est unique bien que certaines se ressemblent, et l’on a vite fait de se concentrer sur de petits détails pour les distinguer. « Ici, le blanc de la neige est plus gris, ici, plus bleu ». 

Essais et erreurs

Comme la chercheuse, la personne qui s’attelle à un puzzle pratique un travail constant de réponse à des hypothèses ; elle suppose que la pièce va aller à cet endroit, puis découvre qu’un petit détail contredit sa supposition. Parfois, elle la laisse en place même si elle n’est pas convaincue qu’elle est à la bonne, le temps d’en trouver une meilleure. Pour avancer, elle devra justement oser remettre en question la précédente preuve obtenue : finalement, ce côté-ci est un tout petit peu plus courbé que ce qu’il faudrait ; il faut donc oser revenir sur ses pas.

Dans la recherche, ce mouvement d’essai et erreur est essentiel : que l’on fasse le puzzle seul ou à plusieurs, l’on doit oser remettre en question les conclusions antérieures, si les nouvelles répondent mieux aux questions posées par l’image en face de nous. Par ailleurs, c’est dans les détails que le jeu se trouve ; sauter aux conclusions est risqué, puisque cela amène à faire des liens causaux fallacieux. Ce n’est pas parce que la pièce paraît blanche qu’il s’agit nécessairement du toit de la cabane qui est à l’avant-plan : et si c’était la neige qui recouvre le chemin, un peu plus loin ?

Au-delà de l’image

L’un des éléments fascinant pour la personne qui s’adonne au puzzle, sera en outre cette mécanique absolument fascinante de changer de zone d’intérêt : lorsque la réponse à la question ne vient pas, c’est parfois en cherchant à résoudre une autre partie du puzzle qu’on finir par y arriver. De même, en recherche, lire sur des thèmes connexes à son sujet précis permet d’ouvrir la porte à de nouvelles explications, de nouveaux phénomènes, qui sont peut-être en interaction, même de plus loin, avec le problème initial.

Évidemment, une recherche ne s’attèlera qu’à un phénomène limité, ou à une partie de phénomène, et aller au-delà de la zone délimitée n’est pas forcément possible. Cependant, l’on peut argumenter que l’ensemble des phénomènes du monde sont liés entre eux, par des chaines parfois très longues de causalité, mais que nous ne pouvons nécessairement découvrir dans l’ensemble. La recherche sur l’évolution des espèces le montre : retracer les liens entre maillons d’une chaîne n’a rien d’évident.

Comment les phénomènes sociaux sont en lien, qu’ils soient économiques, politiques, culturels mais aussi comment les déterminants individuels, cognitifs, psychologiques et même physiques y jouent un rôle, est au cœur d’une idée théorique de la recherche comme entreprise holistique, globale, comprenant toutes les disciplines. Au-delà de l’utopie d’une compréhension de tous les mécanismes humain et de leurs liens, la recherche porte en elle ce besoin de compréhension général, qui dépend cependant très fréquemment de celle ou celui qui la porte.

Diviser pour mieux régner

Un autre enseignement du puzzle est la puissance du découpage en pièces – ici, l’on peut également faire le lien entre le système du puzzle et le découpage d’une image en parties plus petites, permettant de la reproduire en la dessinant plus aisément. Si, partant même de l’image du puzzle, nous tentions de la reproduire à la main, il y a peu de chance de parvenir à un résultat très convainquant ; cependant, diviser le problème en 1000 pièces de petite taille permet de découper la problématique en sous-problèmes plus accessibles pour l’analyse. Ainsi, face au puzzle, nous commençons par délimiter l’ensemble du problème, puis nous le subdivisons en zones de couleurs, qui se mêlent parfois : ici, le chalet dans les tons marrons, là la neige, et plus loin, la forêt.

Les indices sont triés sur base de ces divisions, puis analysées de plus près. Chaque pièce est alors sujette à une analyse sur base d’une hypothèse : « ce marron tirant vers le noir devrait être situé par-là ». Sans surprise, le choix de limiter une recherche à une partie d’un phénomène, ou de le diviser en parties intelligibles, est au cœur de la conception d’un design de recherche. Sans cela, le problème n’est pas analysable ; ici, l’on retrouve la centralité de l’étape de définition des concepts étudiés, de l’établissement de limites à ce qui sera, spécifiquement, analysé. Seul ce travail de division permet de reconstruire ensuite l’image au complet.

Une image floue

Cependant, il y a ici une différence majeure entre la recherche et le puzzle : avec ce-dernier, nous connaissons l’image finale – c’est-à-dire que notre hypothèse générale quant au mécanisme étudié est juste. Dans la recherche scientifique, les conclusions ne sont pas données d’avance, ce qui est éminemment plus compliqué que de recomposer une image dont on peut aisément supposer tous les liens : la neige est connectée à la forêt à ces divers endroits. La métaphore trouve donc ici ses limites, ce qui n’empêche pas ceci posé d’en tirer des enseignements. Au fond, la recherche est un puzzle dont l’image finale est floue, et dont le nombre de pièces est inconnu.

Comme les données d’un problème scientifique, les pièces du puzzle sont autant d’observations qui dépendent de l’œil de celui qui regarde. Ainsi, elles peuvent être mal interprétées, et donner lieu à des conclusions erronées. Si la personne qui fait le puzzle est capable de les observer de façon neutre, et détaillée, en n’oubliant pas, par exemple, cette petite ligne d’ombre sur la neige, qui a sa raison d’être, l’image prend progressivement forme. Et ainsi, les pièces, qui ne ressemblent, seules, à rien, prennent sens. 

Enfin, lorsque le puzzle est fini, que reste-t-il à faire ? Dans le monde scientifique, il faudrait maintenant trouver le prochain puzzle à compléter… et trouver les liens qui existent entre celui-ci le précédent : si les phénomènes sont liés entre eux, le monde est un puzzle au nombre de pièces non seulement indéfini, mais aussi… potentiellement en expansion continuelle ! 

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