Le jeu d’échecs et la construction d’une pensée citoyenne critique

Par Guillaume Grignard (vice-président de We-Search)


La rentrée de septembre rime avec de nombreuses activités extra-scolaires proposées aux enfants en dehors du temps à l’école. Le présent article se propose d’aborder le cas particulier du jeu d’échecs. La perspective que j’adopterai mérite un petit détour. J’écris à la fois comme politologue, impliqué dans les questions démocratiques, également comme joueur d’échecs que j’ai pratiqué longtemps en club, et enfin, comme enseignant, préoccupé par les questions d’éducation à la citoyenneté.

Dans ce sens, l’article s’interroge sur les bienfaits du jeu d’échecs en tant que jeu de citoyenneté [1]. Il s’appuie sur une petite bibliographie classique du jeu d’échec et sur un axe normatif assumé : l’importance pour une société de former des citoyens critiques, qui réfléchissent, et qui sont capables de prendre des décisions. Pour le joueur d’échec averti quelques exemples de mouvements sont présentés en note en bas de page, dans la notation classique d’une partie d’échec. Je me suis gardé de les mettre en pleine page pour ne pas effrayer le lecteur peu habitué à cette écriture !

Principes et règles du jeu d’échec

Le jeu d’échec est un jeu qui oppose deux adversaires qui ont pour but de coincer le roi adverse. C’est l’unique chemin vers la victoire, il se fait au moyen d’un ensemble de technique qui ont pour but de maximiser les possibilités de chaque pièce [2]. Toutes les pièces n’ont pas la même valeur et l’art du joueur sera de mettre à disposition ses pièces au bon moment.

Aux échecs, on distingue trois moments-clés : l’ouverture qui constitue la suite de coups choisis en début de partie. C’est le moment où les joueurs sortent leurs pièces et mettent leur roi à l’abri. Le milieu de partie est le moment où le match démarre réellement une fois que toutes les pièces ont trouvé leur place. Enfin, la finale constitue le moment où la victoire se confirme dans une position où de nombreuses pièces ont été prises par les deux joueurs et où il y a donc beaucoup moins de pièces sur l’échiquier. L’ouverture est fort encyclopédique, le milieu de partie laisse beaucoup de place à l’imagination alors que la finale est très technique avec moins de marge de manœuvre pour gagner. Je montrerai pourquoi ces éléments sont décisifs selon moi pour une démarche plus citoyenne. 

1. Connaître : construire son répertoire d’ouverture      

La littérature échiquéenne a largement étudié les ouvertures qui constituent la première matière du joueur en apprentissage (Tartakover, (2003 [1934] ; Mednis (1987]. Les ouvertures existent pour les blancs qui commencent la partie comme pour les noirs qui « défendent » en jouant en deuxième lieu, on y trouve des noms exotiques l’Italienne, l’Espagnole, l’Anglaise pour les blancs, la sicilienne, la Pirc, ou l’Alekine pour les noirs par exemple. C’est un vrai moment de connaissance où le joueur travaille, livre à l’appui, un répertoire de début. Il s’agit à la fois de mémoriser une série de coups, mais surtout d’en comprendre la logique, de comprendre les intentions de chaque coup. 

Cas particulier : le bluff 

Point très intéressant, il est possible aussi de jouer des ouvertures moins bonnes que les autres mais qui mettent l’adversaire mal à l’aise parce qu’elles sortent trop de la théorie ou qu’elles tendent des pièges à l’adversaire. Le débutant devra alors répondre avec justesse à chaque piège sous peine de rapidement perdre la partie [3]. Face à un joueur fort, ces pièges ne marcheront pas mais si l’information n’est pas connue du joueur, ces ouvertures peuvent faire des ravages.

2. Imaginer : planifier une stratégie à long terme dans le milieu de partie     

Le milieu de partie demande aux joueurs d’analyser leur position et de lancer de grandes manœuvres pour arriver à un objectif stratégique déterminé. Ce milieu de jeu est le résultat de l’ouverture choisi. La littérature a consacré des ouvrages majeurs sur cette question (Euwe, 1988 ; Silman, 2014 ). Généralement il reste encore beaucoup de pièces, les possibilités sont donc nombreuses et les marges de manœuvre assez grandes. 

3. Gagner : terminer la partie en menant une bonne finale   

Une phrase mythique du jeu d’échec est la difficulté de « gagner une position gagnante ». Il est très possible pour un bon joueur d’avoir un milieu de jeu qui débouche sur un avantage, mais il est plus difficile encore de transformer cet avantage en victoire. La finale est ainsi ce moment de déception parfois où après un immense déploiement, l’adversaire parvient à fissurer le plan imaginé pour obtenir une partie nulle, voire renverser le cours du jeu. Les finales sont très techniques et font appel à d’autres aptitudes que le milieu de jeu [4]. 

En guise de conclusion : Applications du jeu d’échec à la vie citoyenne

L’analogie du jeu d’échecs semble prometteuse pour discuter de vastes questions liées au militantisme. Dans un premier temps, le jeu d’échecs repose sur une connaissance nécessaire. De même que tout citoyen doit pouvoir bien se documenter sur les questions climatiques, migratoires, juridiques, etc., un citoyen critique peut difficilement être un citoyen qui n’a pas bénéficié d’une bonne érudition. De même, le début du jeu d’échecs est par nature encyclopédique. 

Le milieu de partie est celui où l’imaginaire est essentiel. Maintenant que je connais le monde qui m’entoure, je peux non seulement imaginer le changer, mais mettre en place une suite logique de coup pour que mon projet prenne forme. 

La finale est la plus atroce des situations aux jeux d’échecs, il s’agit de convertir son projet en réussite. Sur le plan politique, il y aurait énormément à dire sur ce sujet, pour qu’une mobilisation aboutisse à un résultat favorable. Pour les mouvements sociaux aussi variés que les marches pour le climat ou les gilets jaunes, c’est une étape décisive et bien différente que celle de créer une manifestation. 

Mis entre les mains de pédagogues conscients de ces dynamiques, le jeu d’échecs a ainsi le potentiel de créer un esprit instruit, critique, ouvert, et concrètement orienté vers un aboutissement final. Le jeu d’échecs constitue ainsi un excellent axe pédagogique pour construire une citoyenneté vitale pour une démocratie consolidée. 


[1] Cet article prolonge une réflexion que We-Search avait partagé avec le Maître International Kim le Quang lors de la fête de l’Iris 2022 au Parc Royal de Bruxelles

[2]  Ainsi le cavalier est généralement meilleur en F3 qu’en H3, la paire de fous meilleure que deux cavaliers, etc. 

[3] Mon ouverture préférée est sans conteste le gambit du Roi où les blancs laisse les noirs prendre des pièces pour gagner en vitesse de développement. : E4-E5, F4- ExF4. Des débuts irréguliers comme B4 sont également très savoureux.  

[4] Exemple: mettre sa tour derrière le pion pour favoriser la promotion du pion sur la huitième case ; les techniques de finale fou contre cavalier, etc.


Bibliographie 

Euwe, M. (1988), Jugement et plan, Paris, Échecs Payot

Mednis, E. (1987), Comment bien jouer l’ouverture, Paris, Grasset 

Silman, J. (2014), Comment mûrir son style aux échecs. Maîtriser les échecs grâce aux déséquilibres, Toronto, Chess ‘n Math association

Tartakover, X. ((2003 [1934]), Bréviaire des échecs, Paris, Le livre de poche  

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